Cette prospective fait l’objet de 3 billets successifs :

(1) UNE DEMANDE ALIMENTAIRE MONDIALE IMPORTANTE A SATISFAIRE D’ICI 2050

(2) L’AGRO-INDUSTRIE UN SECTEUR EXCEDENTAIRE VITAL POUR L’ECONOMIE FRANCAISE

(3) Mais… LES PERFORMANCES DE LA CEREALICULTURE FRANCAISE DECLINENT

Ces réflexions sont le fruit d’un groupe de travail « Prospectives » de l’association d’Agronomes Interactif. Elles font suite suite aux interrogations de ses membres sur la place de l’Agriculture Française et sa capacité à nourrir les 2 milliards d’habitants supplémentaires qui peupleront la planète à l’horizon 2050.

3. Mais… LES PERFORMANCES DE LA CEREALICULTURE FRANCAISE DECLINENT

Comme nous l’avons vu dans les billets précédents (1) et (2), il faudra produire environ 1 milliard de tonnes supplémentaires d’ici 2050 pour nourrir les 9 milliards d’habitants prévus à cet horizon. Ce chiffre peut paraître énorme, mais à l’échelle de la planète cela nous apparaît tout a fait possible, à partir des deux principaux leviers que sont l’augmentation raisonnable des surfaces cultivables, mais surtout en prolongeant la courbe d’augmentation moyenne des rendements mondiaux d’ici 2050. Rien ne l’interdit aujourd’hui : pas même le réchauffement climatique dont l’influence négative au niveau de la production mondiale de céréales n’est qu’une hypothèse non démontrée.  Par contre l’acquisition de technologies existantes et nouvelles par les pays fortement agricoles en développement (Chine, Inde, Amérique du sud, Europe centrale) est une certitude.

Il nous apparaît également que l’Europe et la France en particulier ont une carte « vitale » à jouer dans ce domaine. Bien entendu pour satisfaire, autant que de besoin, une demande mondiale en croissance. Mais aussi et surtout pour créer, sur notre territoire, de la richesse dont le pays tout entier a bien besoin, vu le déficit grandissant de sa balance commerciale. Le secteur agroalimentaire et en particulier la céréaliculture en est un des rares secteurs positif. C’est un secteur sur lequel nous sommes encore compétitifs parmi les principaux bassins de production mondiaux… et sans délocalisations !

La production céréalière française :

La France reste un des grands pays producteur et exportateur de céréales au monde

Mais… nos capacités d’augmentation de la production sont remises en cause 

  • perte de surfaces cultivables à haute valeur agronomique (plus de 80.000 ha/an, le rythme le plus élevé des pays européens)
  • Erosion de la compétitivité de notre agriculture face à l’émergence des nouveaux exportateurs potentiels
  • Mais surtout une faible progression, voire une stagnation des rendements céréaliers en France alors que partout ailleurs ils continuent leur progression. Ainsi, les rendements moyens en blé stagnent depuis une quinzaine d’années et les rendements du maïs continuent à progresser mais plus lentement (alors qu’aux USA, à même niveau de productivité, il n’apparaît aucun ralentissement).

La stagnation des rendements en blé français mérite une analyse fine et objective :

L’étude CLIMATOR (2010) donne des pistes intéressantes mais devrait faire l’objet d’une analyse critique et d’études complémentaires.

CLIMATOR est un projet de recherche pluridisciplinaire destiné à étudier les impacts potentiels du changement climatique sur les systèmes de culture français. L’étude a été pilotée par l’INRA auquel ont été associés 7 instituts représentant les principales productions végétales françaises.

Cette étude montre que certaines espèces comme la Betterave réagissent favorablement au réchauffement climatique, alors que les cultures d’hiver comme le blé tendre (mais aussi le blé dur l’orge et le colza) réagissent défavorablement.

En ce qui concerne le blé deux études complémentaires (1) et (2) montrent sur la période 1995 – 2010 que la stagnation des rendements résulte de la combinaison d’un certain nombre de facteurs :

Progrès génétique : + 1q / ha / an

Milieu et techniques culturales : – 0.3q / ha / an

Climat : – 0.7q / ha / an  

  1. L’effet « changement climatique » est prépondérant : conditions sèches au printemps (tallage et stade épi à 1 cm) et fortes chaleurs en été (remplissage du grain) ont été identifiés comme ayant un fort impact sur les chutes de rendement.
  2. L’effet « milieu et techniques culturales » n’est pas négligeable. Pour les auteurs, seuls les changements de rotation (moins de pois et plus de colza) et la réduction de la fumure azotée (environ 20 unités depuis 15 ans) apparaissent avoir un impact significatif. L’apparition des techniques culturales simplifiées, et la protection des cultures ne paraissent pas avoir d’effets significatifs.
  3. Selon nous, la protection de la culture et en particulier l’évolution des techniques de lutte contre les maladies des céréales  nous paraît avoir été sous estimée. Le développement du complexe parasitaire des céréales, même s’il est extrêmement variable d’une année sur l’autre, est le facteur limitant le plus important du rendement du blé (avec l’alimentation azotée). Or, que constatons nous depuis une vingtaine d’années : une réduction de l’utilisation des fongicides depuis la mise en œuvre de « la nouvelle PAC » en 1992, que ce soit au niveau du nombre de traitements (baisse de 25% de l’Indice de Fréquence des Traitements en 10 ans) ou de la dose par application. De plus c’est dans le domaine des maladies que l’apparition de  phénomènes de résistance aux molécules est le plus fréquent. Enfin, la période 1995 – 2011 a vu un renouvellement des molécules et des modes d’action moins important que lors de la période précédente. Ces trois éléments nous paraissent à l’origine d’une baisse d’efficacité  de la lutte contre les maladies plus importante que celle rapportée par les précédents auteurs.
  4. En ce qui concerne le progrès génétique, il semble que ce soit le seul facteur dont la progression n’ait pas réellement été affectée : + 1 q/ha/an au cours des 15 dernières années. Lors de la période précédente 1970 / 1990, la même méthodologie appliquée aux essais du CTPS donnait un  progrès génétique de + 0.4 q/ha/an alors que le  progrès des « intrants » atteignait  0.9 q/ha/an. Ces données, même si leur mode d’obtention est entaché d’une certaine imprécision, sont néanmoins troublantes. La période 1970 / 1990 était caractérisée par l’inscription de variétés a fort potentiel, sensibles aux maladies et à faible qualité boulangère. Au contraire la période 1995 / 2011 est caractérisée par l’inscription de variétés panifiables supérieures (les BPS occupent maintenant pratiquement 90% de la sole a blé), variétés plus précoces, moins productives mais également plus tolérantes aux maladies.

Ces deux derniers points nous paraissent mériter des études, voir des expérimentations plus approfondies.

 Ces constations nous amènent nous amènent néanmoins à penser que :

la génétique, avec l’utilisation des biotechnologies, nous paraît être le levier majeur pour déplafonner le niveau actuel des rendements du blé :

  • Création de variétés dont la physiologie (stades de développement) est mieux adaptée aux nouvelles contraintes climatiques

  • Variétés moins sensibles aux bio-agresseurs

 

Bibliographie :

Livre vert du projet CLIMATOR : Changement climatique, agriculture et forêt en France : simulations d’impacts sur les principales espèces

ÉVOLUTION DES RENDEMENTS DE PLUSIEURS PLANTES DE GRANDE
CULTURE – UNE RÉACTION DIFFÉRENTE AU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
SELON LES ESPÈCES
par André Gallais, Philipe Gate, François-Xavier Oury
et la Section 1 de l’Académie d’Agriculture de France

LES CAUSES DU PLAFONNEMENT DU RENDEMENT DU BLÉ EN FRANCE : D’ABORD UNE ORIGINE CLIMATIQUE
Philippe Gate, avec la collaboration de Nadine Brisson et David Gouache