« Dans les forêts de Sibérie« , c’est le titre d’un livre en forme de carnet de voyage que j’ai pour de multiples raisons beaucoup apprécié. L’auteur, Sylvain Tesson, est parti vivre seul de février à juillet 2010 dans une cabane au bord du lac Baïkal. Bien qu’a aucun moment Sylvain Tesson n’emploie le mot écologie dans son livre, c’est en partageant le récit d’une telle expérience, avec un tel personnage que je me sens en phase avec sa vision, ses doutes et ses contradictions assumées sur l’écologie. Je me reconnais comme un écologue c’est a dire quelqu’un qui essaie de résoudre les véritables problèmes environnementaux actuels par la science et la technologie, le tout au service de l’homme. Et non comme un écologiste au sens idéologique et politique du terme dont la mouvance actuelle ne poursuit qu’un seul but : instaurer une politique de décroissance, prendre le pouvoir et soumettre l’homme à la nature. Vivre 6 mois dans les conditions de l’hiver sibérien, même au bord du lac Baïkal qui adoucit sensiblement les températures, ce n’est pas à la portée de n’importe qui et ça force déjà le respect. Je ne suis pas certain qu’au même âge j’aurais tenté l’expérience, bien sûr pour d’autres multiples raisons, mais surtout parce que l’expérience est redoutable. Force de caractère, humilité, sincérité font de Sylvain Tesson un écolo que je respecte, ni militant, ni mystique, ni donneur de leçons comme beaucoup le sont en ce moment dans notre cher pays.
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Le lac Baïkal en hiver, vu de Listvianka – Au fond, les montagnes Bouriates. |
Le lac Baïkal… c’est un rêve que je n’ai pu réaliser lors de mon dernier voyage en Chine. Et pourtant lorsque j’étais à Hailar ou à Manzhouli en Mongolie intérieure, j’étais aux portes de la Sibérie sur la branche chinoise du Transsibérien Pékin – Harbin – Hailar – Manzhouli – Irkoutsk…. Moscou ! Mais un visa russe demande de la préparation, surtout lorsque l’on vient de Chine… et il faut s’y prendre très tôt ! |
Le lac Baïkal
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La plus grande réserve d’eau douce au monde : 635 km de long, 25 à 80 km de large et 1600 mètres de profondeur. Des centaines de rivières et cours d’eau qui l’alimentent comme la rivière Selenga en provenance de Mongolie et d’Oulan – Bator au sud. Un seul exutoire : la rivière Angara qui passe à Irkoutsk pour se jeter au nord de Krasnoïarsk dans le Ienisseï et rejoindre la mer arctique. A l’est, la Bouriatie (une des républiques de la fédération de Russie) et sa capitale Oulan-Oudé. |
« Dans les steppes de Sibérie »
Richesse de la nature et richesse intérieure
Le roman est un journal de bord où l’auteur, Sylvain Tesson (le fils du médiatique Philippe Tesson) restitue, jour après jour de février à juillet 2010, l’atmosphère de sa cabane et de cet endroit complètement isolé sur la rive ouest du lac Baïkal.
Le cap des cèdres du nord, au nord de la réserve Baïkal – Lena, et sa cabane, « une Villa Médicis pour moujik russe » comme il aime à le dire. Plus prosaïquement un ancien abri de géologue construit en 1980 dans la taïga au bord du lac Baïkal seront le théâtre de cette aventure où finalement il ne se passe pas grand chose.
Mais pour l’auteur c’est le but recherché, le luxe suprême, ce qui lui permet d’exprimer cette richesse intérieure faite d’émotions, de réflexions de doutes. Mais c’est également la richesse des paysages et de la nature qui font le spectacle et que chaque jour est toujours différent du précédent…
La solitude
« …Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient avec soi même… Elle lave de tous les bavardages… Elle convoque à la mémoire le souvenir des gens aimés. »
« C’est aussi ce que perdent les autres à n’être pas là au moment où la beauté se manifeste. »
Ecolo mais conscient de ses contradictions :
La vie ne redevient possible dans un tel environnement que grâce à la modernité, parce que l’on peut amener de la ville nourritures terrestres et spirituelles.
« La dialectique du toujours plus… et du juste ce qu’il faut. »
« J’ai toujours eu beaucoup de mal avec la critique un peu facile de la société de consommation… car c’est quoi le contraire : c’est la société de pénurie. Il vaut mieux vivre dans une société de consommation que dans une société de pénurie. On peut toujours ne pas sacrifier à la société de consommation, mais dans une société de pénurie, et les ex soviétiques vous le disent, on ne peut faire qu’une chose, c’est subir la pénurie. »
« Nous avons troqué notre autonomie physique par une autonomie spirituelle… et je me pose simplement la question de savoir s’il y en a une qui est moins noble que l’autre. »
La faune et la flore
Notre ermite n’est pas vraiment un naturaliste, mais « La moindre des choses quand on s’invite dans les bois, est de connaître le nom de ses hôtes ». Ainsi quelques guides naturalistes de la collection Delachaux et Niestlé accompagnent Tournier, Déon, Defoe, Nietzche, Schopenhauer, Giono, Camus, Kierkegaard… « Les livres sont des icones. »
Quelques espèces végétales citées : cèdres, mélèzes, bouleaux, frênes, pains nains, myrtilles, airelles, azalées, rhododendrons, rhubarbe, ail aux ours, oignon sauvage, anémone de montagne… L’ermite identifie les espèces mais le genre n’est pas sa préoccupation première.
Quelques espèces animales : ours, lynx, cervidés, renard, vison, lièvre… les oies et les canards arrivant de Chine et de Thaïlande à la fonte des glaces, eiders, fuligules, harles, arlequins plongeurs, mouettes, mais aussi geais, freux, aigles, pics, Tetras-lyre, bergeronnettes et mésanges plus familières.
Deux espèces endémiques, qui se sont adaptées à l’eau douce, méritent une attention particulière : il s’agit du phoque et de l’omoul.
Les phoques du Baïkal
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Le phoque de Sibérie (Pusa sibirica) – Nerpa en russe – est le seul phoque d’eau douce vivant sur la planète avec le phoque annelé (Pusa hispida) qui vit également complètement coupé des océans. Il colonise la moitié nord du lac Baïkal, il est endémique et c’est également un des plus petits phoques au monde (50 kg et 1.30 m de longueur). Ils plongent à 200 m pendant 20 à 25 mn pour trouver leur nourriture (Coméphores, petits poissons vivipares sans écailles, très gras qui ont la particularité d’exploser lorsqu’on les remonte trop rapidement à la surface). Les phoques des îles OuchkanyObservation des phoques du BaïkalLes phoques d’eau douce |
Le lac Baïkal abrite plus d’une cinquantaine d’espèces de poissons dont la pêche du plus emblématique l’Omoul, a toujours été l’occupation principale des riverains. L’Omoul (Coregonus migratorius) est très proche de l’Omble chevalier (Salvelinus alpinus), espèce des mers arctiques de la famille des salmonidés (saumons), ayant colonisé a la fin des dernières glaciations les lacs arctiques ou alpins d’eau douce (Annecy…).
La pêche à l’omoul : à la ligne ou au filet ?L’Omoul – Wikipedia |
L’Omoul
L’auteur, en pleine action ferrant un Omoul qu’il appelle dans son récit « omble tacheté » |
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Cru, mariné, séché, en soupe, grillé ou fumé ce poisson constitue la base de l’alimentation des autochtones…. et des visiteurs de passage. |
Omouls à l’étalage sur le marché de Listvyanka |
Séchage de l’Omoul
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Repas de fête !
« Foie d’élan, oeufs de poissons, pattes d’ours et confitures de myrtilles et surtout de la bonne vodka râpeuse pour dissoudre le goût du gras. »
Le 22 mai 2010
Petite anecdote : je suis passé à quelques kilomètres de la cabane de notre ermite… pas à côté non mais au dessus, ignorant bien sûr complètement l’existence de sa retraite en cet endroit. C’était au retour de ma deuxième mission en Chine à Hailar en Mongolie intérieure, vol Air China CA233 au départ de Pékin 13h35. Les vols Pekin Paris empruntent pratiquement la route du Transsibérien en survolant Oulan – Oudé, le Baïkal, Irkoutsk, Krasnoyarsk, Ekaterinebourg, Moscou…
Quelques extraits de son carnet de bord le 22 mai, le lac en cours de débâcle : « Le 22 mai à 5 h du soir c’est la débâcle. Le vent descend des montagnes et ouvre la plaine à coups de dents. En dix minutes l’eau regagne sa liberté…Une allongée d’eau libre de cinq cents mètres de long court le long de la grève. Le vent y distribue ses gifles… Les plaques se désagrègent dans un crépitement de sucre imprégné de champagne… Plus rien ne sera comme avant. »
« Le peuple des insectes va envahir les bois et je me sens moins seul. »
« La cabane a-t-elle un sens politique ? Vivre ici n’apporte rien à la communauté des hommes… La cabane n’est pas une base de reconquête mais un point de chute… Une porte de sortie, non un point de départ… Le trou où la bête panse ses plaies, non le repaire où elle fourbit ses griffes. »
La nuit suivante : « Cette nuit à 3 heures, des aboiements me précipitent hors de la cabane, le lance-fusée au poing. Un ours rôde sur la plage. A l’aube, ses traces, sur le sable gris. »
Et pour terminer sur quelques aphorismes…
Sylvain Tesson est un grand pourvoyeur d’aphorismes, « aphorismes de sous préfecture » comme il dit. « C’est une maladie que j’ai et dont j’essaie de guérir… La formule c’est les gravats de la pensée… et même quand on la critique on en fait une ! »
Eh bien moi j’aime… :
En parlant d’Igor, un des pêcheurs qui ne tient pas la vodka : « Il rend en sanglots ce qu’elle fournit en ethanol »
« La pêche, ultime clause du pacte signé avec le temps »
« Les mésanges gardent la forêt pendant le gel. Elles n’ont pas le snobisme des hirondelles qui passent l’hiver en Egypte… »
« Je suis arrivé ici en ignorant si je resterai. Je repars en sachant que je reviendrai… »
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Prendre le temps de regarder ces deux vidéos :
Sylvain Tesson six mois dans les forêts de Sibérie
Sylvain Tesson vs Polony & Pulvar – Ruquier, On n’est pas couché 8 octobre 2011
Et puis…
La page perso de Jean Saint Martin : très intéressante et riche en photos du Baïkal au plein coeur de l’été.
Blog de Alexei : organisateur de missions sur le lac Baïkal
Pour mieux connaître Sylvain Tesson :
Interview par Philippe Bilger en juillet 2018